Pourquoi le marché des paris sportifs doit-il évoluer ?

paris sportifs arjelLa lutte contre les sites illégaux et le développement de l’addiction est devenue une nécessité pleinement assumée par l’Autorité de Régulation des Jeux En Ligne (ARJEL). Mais, comme le reconnaît de vive voix son président, le marché reste fragile. En cause : un manque de compétitivité, une fiscalité inadaptée et un potentiel bridé.

Par le biais de l’article 34 la loi du 12 mai 2010, l’Etat a donné naissance à l’ARJEL, et à la vie qui va avec. Huit ans plus tard, le secteur des paris sportifs demeure fragilisé malgré sa croissance, qui reste inférieure à celle de ses voisins européens.

Huit ans d’ARJEL : trop de trop pour les bookmakers

ARJEL logoDepuis huit ans, l’ARJEL lutte non sans mal contre les sites frauduleux et l’addiction au jeu, tandis que le marché affiche une flatteuse croissance à deux chiffres. Mise en perspective, celle-ci n’illustre toutefois pas le déficit de compétitivité des bookmakers français, dopés aux volumes, à l’endettement et bientôt à la Coupe du Monde 2018. Un trompe l’œil donc : le marché des paris sportifs n’a rien de pure et parfait.

Les entreprises françaises sont parmi les moins compétitives. Et pour cause, en sûr-régulant, en imposant trop arbitrairement le niveau des enjeux (1), les caractéristiques techniques (2), les normes fiscales (3) et les critères d’agrément relatifs aux demandes de nouveaux entrants (4), l’autorité administrative indépendante créée par l’Etat décourage la demande et rogne, rogne encore, les marges des entreprises.

 

Trop de contraintes sur les cotes

Les cotes fixées par les bookmakers français sont largement plus basses qu’à l’étranger ce qui encourage mécaniquement les joueurs – que l’ARJEL a vocation à protéger – à perdre, à renoncer de jouer, voire même à ouvrir illégalement des comptes chez des bookmakers étrangers. Une situation qui est problématique pour les sites de paris sportifs, dont les marges fondent comme neige au soleil.

Le site Conseils Paris Sportifs.fr, a comparé les cotes de plus de 500 matchs des grands championnats européens de football sur 5 bookmakers ARJEL et 10 hors ARJEL, parmi les plus importants. Si, sur une poignée de grands matchs, les opérateurs français acceptent de réduire leur marge afin d’attirer les parieurs, les cotes des bookmakers ARJEL sont en moyenne inférieures de plus de 12% par rapport à leurs homologues étrangers sur les paris de type 1N2. Cette différence abyssale constitue un manque à gagner certain pour les parieurs français, et ne profite pas plus aux opérateurs dont la très grande majorité des marges est rongée par les taxes.

Trop de contraintes fiscales

La France est l’un des seuls pays à encore taxer les sites de paris sportifs directement sur les mises effectuées par leurs clients et non sur les revenus réels des opérateurs (PBJ).

La taxation sur les mises s’élève à 7.5%. Ainsi, sur une mise gagnante de 100€, la société de paris en ligne devra reverser 7.5€ à l’Etat, en plus des gains du parieur. Les chiffres du T1 2018 sont sans équivoque : les entreprises françaises ont été imposées à hauteur de 847 m€ sur leurs mises ; alors que leur PBJ n’est que de 147 m€. Asphyxiant.

Le président de l’ARJEL le reconnaît volontiers, « la France est de plus en plus isolée en Europe, où se généralise une taxation du produit brut des jeux (PBJ), avec, dans bien des cas, des taux attractifs ». Mais, à l’orée de la Coupe du Monde 2018, la loi semble vouée à ne pas changer.

Les revenus nets des opérateurs de paris sportifs

T1 2018 : L’ARJEL a prélevé plus de la moitié du PBJ des sites de paris sportifs.

Trop de contraintes sur les paris

Parmi ses prérogatives, il convient que l’ARJEL doit fixer « les caractéristiques techniques des plates-formes et des logiciels de paris en ligne », ce qui dans la pratique, excessive, s’avère être un frein à l’innovation. Et, plus modestement, à l’expérience de pari offerte aux joueurs. Il suffit de regarder ce qui se fait avec escient au delà de nos frontières.


L’éventail de paris proposé par les opérateurs étrangers est bien plus vaste :
handicaps au tennis, nombre de cartons ou de corners… La liste est longue. De plus, le nombre de championnats ainsi que les sports sur lesquels il est autorisé de parier est bien trop limité en France. En effet, de nombreux championnats sont interdits comme la deuxième division au handball et au volley, les troisièmes divisions au football, le championnat de France de water-polo, etc. Ces interdictions, l’ARJEL établit une hiérarchie subjective à travers les sports et les championnats.

Trop de barrières à l’entrée

Consciente de la situation, la Commission européenne souhaite logiquement réduire les charges qui pèsent sur les opérateurs. Mais, la Cour de justice européenne précise chaque jour davantage les limitations à l’ouverture des marchés. Et ce, malgré un déficit concurrentiel évident.

Face aux risques et aux oligopoles, aucun nouvel entrant ne peut résolument bousculer l’ordre établi. Pire, de nombreux bookmakers étrangers n’osent pas se lancer sur le marché français. Ainsi, Betstars, le site de paris sportifs de Pokerstars, a préféré ouvrir ses activités à l’international, en Espagne puis en Italie avant d’aller en France.

Des sites tels que Pari365, Sajoo, ou encore le site France Pari Sportif qui essayait de bouleverser la hiérarchie, ont même dû fermer à cause de la pression fiscale.

 

Les sites de paris sportifs ne sont pas les plus touchés

Ceux qui sont en première ligne ne sont cependant pas les géants de l’industrie du pari sportif, mais la bulle d’entreprises – les sites marchands ou d’information par exemple, et plus directement les sites dédiés – qui gravitent autour grâce à l’affiliation, précieux levier de monétisation. Du fait des contraintes qu’ils subissent et que nous venons en substance d’évoquer, les bookmakers sont de moins en moins disposés à investir. Tout cet écosystème devient économiquement pervers, son potentiel est bridé par l’Etat gendarme. Une vraie politique de l’offre, d’utilité commune, s’impose.

Parieurs, affiliés, marchands, les victimes collatérales de la loi du 12 mai 2010

En 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie avait déclaré : « Nous devons retrouver notre esprit de conquête. Le mot entrepreneur, ne l’oubliez jamais, est un mot français. Il nous a été volé ». Mais les mots ne suffisent plus à guérir les maux. Encore faut-il stimuler la demande : des joueurs s’évadent sur les sites étrangers (le marché mondial, évalué à plus de 1.000 milliards de dollars en 2015, repose encore à 90% sur les paris illégaux), d’autres renoncent devant des cotes dérisoires. Encore faut-il être compétitif : des sites ferment, aucun ne prend la relève, statu quo.

Economie ouverte ou fermée, l’ARJEL et la Commission européenne doivent prendre la pleine mesure de cet enjeu : les charges et les normes coercitives qui pèsent actuellement sur les bookmakers ne leur permettent pas de redresser leurs marges, ni d’investir davantage. Ainsi contraints, les opérateurs baissent le niveau des commissions allouées aux sites affiliés, qui reposent essentiellement – ou jusqu’à 50% pour les sites marchands – sur ce modèle de financement.

Au nom de la libre prestation de service…

Trop de trop… Ces huit années d’ARJEL n’ont permis qu’une libéralisation toute relative du marché des paris sportifs. Si celui-ci a bel et bien basculé dans la légalité, il demeure encore bridé par la procrastination coupable de l’ARJEL ; un mal qui profite tout au mieux à la Française des Jeux, détenue à 72% par l’Etat. Il est, en conséquence, urgent de rouvrir les vannes de l’innovation, au niveau national et au niveau européen, sans pour autant encourager les pratiques déloyales (grâce à l’action régalienne de l’ARJEL). Il en va de la sacro-sainte croissance du secteur.